Mathilde, Antoine, vous êtes les responsables artistiques de Pelicanto. Concrètement, ça veut dire quoi ? Vous pouvez vous présenter ?

Mathilde : Je suis cheffe de chœur et chanteuse lyrique de profession. Cela fait maintenant huit ans que j’ai la chance de diriger Pelicanto, chœur dont j’assume la direction depuis le plus longtemps et avec lequel j’ai beaucoup appris que ce soit techniquement ou musicalement. Mais c’est aussi et surtout un choeur avec lequel j’ai évolué tant sur des questions d’identité ou d’affirmation de soi que sur les relations humaines. J’ai la responsabilité de tout ce qui touche à nos productions musicales, ce qui implique la technique vocale, l’interprétation, les nuances, le travail de prononciation, mais aussi trouver ou écrire des arrangements des morceaux qui se renouvellent chaque année.

Antoine : De mon côté, j’encadre avec Mathilde la Comart, un groupe de choristes chargé·e·s d’articuler toutes les dimensions de nos créations. Dans un second temps, je conçois la partie mise en scène et théâtre de notre spectacle. Je pars des chants et du thème choisis collectivement, de l’histoire dessinée par les choristes, et surtout de l’énergie de ce chœur incroyable auquel j’ai la chance d’appartenir depuis 2014.

 

Vous parlez de la Comart, c’est quoi exactement ? Comment se crée un spectacle Pelicanto ?

Mathilde : La Comart, c’est le petit nom de la commission artistique, elle est composée d’une dizaine de choristes, d’Antoine et moi. C’est là que nous répertorions les propositions de tou·te·s les choristes. Chacun·e peut proposer un thème et cinq chants pour le prochain spectacle. Une fois les données collectées (plus de 200 propositions de chants par an !) nous choisissons de manière collégiale un thème, une douzaine de chants en rapport avec celui-ci et partons pour l’écriture du spectacle, l’imagination d’une scénographie, des décors et des costumes. Cela nous prend en tout six mois, de juin à novembre.

Antoine : Ce qui est passionnant – et assez unique il faut le dire – c’est la dimension collective de notre travail. Peu d’ensembles et de formations musicales, professionnelles ou en amateur, font une place aussi grande au collectif. À chaque étape, il y a des allers-retours avec le chœur. Notre objectif, c’est que le spectacle ressemble à chacun·e.

 

Vous arrivez à proposer chaque année quelque chose de différent. C’est quoi le secret ?

Antoine : Je pense que ça tient à deux facteurs. D’abord l’engagement militant qui est dans l’ADN de Pelicanto et qui nous pousse chaque année à interroger un combat ou une question de société différente. Dans l’histoire du chœur, on a porté sur scène des thèmes aussi divers que les stéréotypes de genre dans la pop culture, la lutte contre la transphobie ou encore l’âgisme dans le milieu LGBTQ+. Et puis la nouveauté… elle vient aussi des choristes ! La création collective permet une immense diversité de regards, d’envies et d’idées. Cette diversité est la garantie de la nouveauté.

Mathilde : Il est pour moi important d’avoir toujours comme objectif de faire progresser le chœur, d’abord parce que le chant est notre moyen d’expression pour lutter contre les discriminations mais aussi pour stimuler les choristes et leur donner envie. C’est pourquoi je me dois de toujours leur proposer de la nouveauté ou des objectifs renouvelés à atteindre. C’est grâce à la relation de confiance qui s’est construite au fil des années qu’on peut se permettre d’aller toujours plus loin musicalement, parfois de se tromper et parfois d’avoir un brin de folie qui se transforme en du génie collectif (en tout humilité bien-sûr).

 

Pelicanto est une chorale, mais ce que le chœur présente est bien plus qu’un enchaînement de chants… avec chorégraphies, théâtre, mise en scène, costumes. Ce n’est pas un peu beaucoup pour les choristes ?

Mathilde : Si… C’est beaucoup d’investissement, c’est même gargantuesque ! 2h30 de répétition tous les mercredis, une répétition tous les lundis soir pour la troupe qui porte la partie théâtre, des dimanches et des week-ends exceptionnels de répétition… plus tous les concerts donnés en cours d’année évidemment. C’est un réel engagement, il y a beaucoup de différentes valeurs qui nous portent : le chant, le spectacle, les paillettes, le fun mais surtout le militantisme et les relations créées au sein du groupe. Ca peut sembler niais mais il y a une forme d’amour dans ce chœur que je n’ai jamais vue ailleurs (et vu la fréquence à laquelle on se voit il vaut mieux).

Antoine : Alors là je réponds avec ma casquette de choriste : c’est beaucoup trop mais c’est ça qu’on aime à Pelicanto ! Plus sérieusement, nous avons une responsabilité commune : celle de faire voir et entendre nos histoires, nos luttes, nos désirs et nos identités. Et oui c’est beaucoup de travail et d’engagement, mais qui le fera sinon nous ?

 

Les costumes sont à chaque fois incroyables. Qui s’occupe de leur création ?

Antoine : Le choix de l’esthétique du spectacle et des costumes est fait par la Comart en lien avec Mathilde et moi. Il s’inspire de nos imaginaires personnels et collectifs, des influences de la pop culture évidemment, des différents courants du drag, de la mode…

Mathilde : C’est vrai qu’en plus de chanter, danser, imaginer, jouer, il faut aussi passer 20h à se brûler les doigts en collant des fleurs sur des tenues ! Blague à part, toute la beauté que vous pouvez voir sur scène c’est le résultat de nombreuses heures que tou·te·s les choristes passent sur leur costume. Ce qui est génial c’est qu’avec une charte graphique qui vient de la Comart les choristes créent leur costume et à la fin, miraculeusement, ça fonctionne !

 

Sans spoiler, qu’est-ce qui fait que le spectacle de cette année est un très bon cru ?

Antoine : En toute subjectivité, je répondrais dans le désordre : le sujet des thérapies de conversion que je n’ai jamais vu traité sur scène, l’humour décapant qui renoue avec les grandes comédies de Pelicanto, le mariage entre le texte et les chants qui est dingue, l’énergie un peu révolutionnaire qui nous porte et qui fait écho à l’actualité sociale en France.

Mathilde : Cette année je trouve qu’on s’est lâché… Je crois qu’après le covid, l’annulation de deux spectacles et l’incendie de l’année dernière, enfin après tout ce qui nous est arrivé de pourri… on s’est vraiment tout permis, go nuts Pelicanto !

 

Le thème des thérapies de conversion est relativement sensible. N’est-ce pas un parti pris risqué ?

Mathilde : Faire un spectacle militant contre les discriminations LGBTQI+ aujourd’hui, c’est forcément un parti pris risqué au vu de ce qu’il se passe dans le monde. Chaque année nous prenons des risques. La thérapie de conversion n’est interdite en France que depuis janvier 2022 et nous avons vu aux États-Unis avec l’IVG que nos droits ne sont jamais vraiment acquis. Nous nous sommes dit qu’il était intéressant et important d’en parler car c’est un sujet bien trop méconnu et parce que -bien qu’elle soit interdite- la thérapie de conversion existe malheureusement toujours sous des formes « édulcorées ».

Antoine : Ce qui est risqué, c’est de taire un sujet, c’est de se censurer et de ne pas parler. Au-delà des thérapies de conversion, le spectacle interroge les dérives auto-cratiques, les délires fanatiques et les dogmes nauséabonds en tout genre. Je pense que les courants qui parcourent le militantisme LGBTQ+ doivent représenter autant de contre-pouvoirs et de refus des normes. Notre spectacle essaye d’en porter une partie sur scène, pour le plus grand nombre.

 

En voyant le spectacle, on n’a qu’une envie : rejoindre le chœur ! Ça se passe comment ?

Mathilde : Pelicanto accueille chaque année de nouveaux et nouvelles choristes. Pour ça il suffit d’aller sur le site, de cliquer sur « nous contacter » et de signaler son envie de nous rejoindre ! Les auditions ont généralement lieu fin août ou début septembre. Attention, quand je parle d’audition, pas besoin de savoir chanter tous les tubes de Noël de Mariah Carey par cœur en faisant le poirier, il s’agit de répéter quelques vocalises après moi.

 

Question bonus ! Pour résumer, c’est quoi pour vous Pelicanto ?

Antoine : Un espace de liberté et d’amitié sans pareil.

Mathilde : Pelicanto, c’est ma passion, mes ami.e.s, ma famille, mon métier… C’est ma vie en fait !

 

Bon ! Deuxième question bonus ! Et bosser ensemble vous deux, pas compliqué ?

Mathilde : Travailler avec Antoine est un rêve éveillé ! Il regorge d’idées fantastiques, parfois saugrenues mais toujours inattendues ; il sait nous emmener là où il veut et c’est toujours une destination incroyable. Nous avons la chance d’avoir tissé, en même temps que les différentes créations, une amitié solide basée sur l’écoute et le respect. Comme je le disais, Pelicanto, c’est bien plus qu’un chœur : on y vit des aventures fabuleuses et on y rencontre des personnes qu’on ne veut plus jamais quitter.

Antoine : Quand Mathilde nous dirige et que j’ai le son de ma voix entre ses mains, c’est une chose si indescriptible et précieuse à la fois. Alors, je ne sais pas si c’est lié au fait que ce soit la meilleure cheffe de chœur que je connaisse ou ma meilleure amie, mais je ne la remplacerais pour rien au monde !